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Un Quimpérois célèbre et méconnu, Elie Fréron

La célébrité personnelle s'acquiert parfois au dépend de sa propre estime.

Pour nombre de personnes, Elie Fréron est surtout connu pour avoir inspiré au patriarche de Fernay (Voltaire) l'un des épigrammes les plus fameux de la langue française. Bien des générations de lycéens l'ont lu et en ont certainement souri.

L'autre jour au fond d'un vallon
Un serpent piqua Jean Fréron
Que pensez vous qu'il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva.

Quel était l'homme qui mérita un si méchant jugement de la part du philosophe du siècle des Lumières ?

Les origines

La rue obscure à QuimperVoir l'image en grand La rue obscure à Quimper

Vers 1693, Daniel Fréron, issu d'une famille ayant abjuré la foi protestante, originaire d'Agen quitte sa lointaine Gascogne pour s'attacher comme compagnon auprès d'un maître orfèvre quimpérois, Jean Guillerm dont l'atelier est situé rue Kéréon.

Le sieur Guillerm décède en juin 1696. Sa veuve Françoise Le Feunteun prends pour second époux Daniel Fréron permettant ainsi la survie de son commerce. Ce mariage va assurer une certaine promotion sociale au nouvel arrivé. Celui-ci est confirmé dès 1697 comme maître orfèvre par la cour des monnaies de Nantes.

Trois enfants vont naître de cette union entre 1698 et 1701. Cette année là, Françoise Le Feunteun décède, probablement des suites de ses couches. En janvier 1702, notre maître orfèvre s'unit en seconde noce à une jeune orpheline du nom de Marie Pérudel. Pas moins de neuf poupons vont se succéder dans le berceau de la famille Fréron entre 1702 et 1712. A nouveau veuf en 1714, Daniel Fréron épouse en février 1715, Marie-Anne Campion, fille d'un notaire de Pont-l'Abbé. Ce sont encore six autres enfants qui vont voir le jour au sein d'une famille déjà pléthorique.

Le 20 janvier 1718, naît dans l'une des maisons de la rue Obscure, Elie Fréron, quinzième enfant du maître orfèvre quimpérois.

Les études

Avec des revenus assez médiocres et une telle charge de famille, malgré la disparition de sept enfants en bas âge, la famille Fréron est aux marges de la petite bourgeoisie et du monde des artisans besogneux. Le père, Daniel Fréron, doit certainement réaliser de lourds sacrifices pour instruire son fils Elie et payer ses études au collège de Quimper.

Elie Fréron débute ses études au collège de Quimper ouvert dès 1620. Le collège de Quimper où Elie Fréon a fait ses étudesVoir l'image en grand Le collège de Quimper où Elie Fréon a fait ses études

Elève prometteur, il est doté d'une excellente mémoire. Remarqué par ses professeurs, il bénéficie de l'appui d'un jésuite célèbre, le Père Bougeant, également quimpérois, qui parvient à le faire admettre en 1734 au collège royal Louis Le Grand à Paris où il lui enseigne l'histoire et les belles lettres. Il y suit également les cours de rhétorique administrés par le Père Porée, reconnu et apprécié par ses pairs et ses anciens élèves, dont Voltaire qui le tenait en haute estime.

Les humanités de Fréron s'achevant, le temps est venu pour lui d'entamer son noviciat rue du Pot-de-Fer. Il y séjourne une année.

En 1736, Elie Fréron est professeur de cinquième au collège jésuite de Caen. En 1738, il réintègre le collège Louis Le Grand, cette fois comme professeur de 5ème puis de 4ème.

Trop adonné aux occupations littéraires, il néglige les règles de son ordre. En 1739, une plainte est portée contre lui pour avoir été vu au théâtre en habits laïques. Privé de sa chaire, il est envoyé à Alençon, puis sollicite quelques temps plus tard d'être relevé de ses vœux. Le 10 avril 1739, il remercie ses maîtres et bienfaiteurs mais ne rompt pas pour autant avec l'état ecclésiastique.

Il lui faut maintenant trouver un travail pour assurer son existence. L'abbé de Boismorand lui conseille d'offrir sa plume à l'abbé Desfontaines alors à la tête de la revue, appréciée mais redoutée, Observations sur quelques écrits modernes et dont l'ennemi désigné est Voltaire.

Fréron reste aux côtés de Desfontaines quatre ans, le temps pour lui de faire l'apprentissage de la critique. C'est à cette période qu'il collabore à l'édition de Marie Stuart (1742) avec l'abbé de Marsy.
En 1743, Les Observations sont supprimées par le Conseil d'Etat à la suite d'une attaque de l'abbé Desfontaines à l'encontre de l'Académie.

Deux choix s'offrent à Elie Fréron : la critique littéraire où il excelle et la poésie pour laquelle il se passionne...

L'écrivain polémiste

Elie Fréron opte un temps pour la poésie.

Il compose en 1744 une ode sur les conquêtes du Roi qui remporte un franc succès auprès du public suivi d'une ode sur la convalescence du Roi. C'est à cette époque qu'il entre en franc-maçonnerie dont il devient un propagandiste zélé.

En 1745, fort de sa réussite, Fréron fait paraître une ode sur la bataille de Fontenoy qui lui vaut les faveurs des critiques face au poème de Fontenoy de Voltaire. Malgré des débuts littéraires remarqués et le succès de ses premiers essais, il décide d'abandonner la poésie au profit de la critique.

Le 1er septembre 1745, il entame la publication des Lettres de la comtesse qu'il signe sous le pseudonyme de Mme la Comtesse de .... La comtesse se propose d'écrire librement sa pensée sur les auteurs et les écrits de son siècle. Elle raille les auteurs, plaisante l'Académie et s'attaque à la favorite du Roi, Mme de Pompadour ce qui vaut à Elie Fréron d'être emprisonné à Vincennes du 17 janvier 1746 jusqu'au 12 mars puis exilé.

Lettres sur quelques écrits de ce tems imprimé à Nancy 1753Voir l'image en grand Lettres sur quelques écrits de ce tems imprimé à Nancy 1753Au même moment, il accepte de remplacer Desfontaines, décédé en décembre, à l'académie de Montauban. Son exil forcé à Bar-sur-Seine est levé en juin et il rentre à Paris avec interdiction de publier aucun écrit sans approbation.

En janvier 1749, Fréron publie Les lettres sur quelques écrits de ce temps. Fréron entre immédiatement en matière par l'examen de Denys le tyran premier essai tragique de Marmontel, le protégé de Voltaire. Les hostilités entre Voltaire et Fréron sont désormais ouvertes : par critiques interposées, les deux auteurs s'en prennent l'un à l'autre.

Le 15 mars, les feuilles de Fréron sont supprimées sur ordre du chancelier d'Aguesseau, ami du philosophe éclairé. Les Lettres sur quelques écrits de ce temps reprennent cependant en 1750 jusqu'à l'année 1751 où un nouveau scandale éclate entre Voltaire et Fréron.

Malesherbes, alors directeur de la Librairie, ordonne la suppression des lettres. Mais en septembre 1752, le critique obtient le soutien de l'ancien roi de Pologne : « Rendez-nous les feuilles de monsieur Fréron, et tout le peuple vous en remerciera. ». Fréron reprend donc la plume avec la collaboration de l'abbé de La Porte et du Port du Tertre jusqu'en 1753.

L'année 1754 marque la naissance de l'Année littéraire, ouvrage que Fréron qualifie « d'important, lucratif et glorieux ». Ayant rompu son contrat qui le liait à Duchesne, il travaille désormais avec le libraire Lambert . La première feuille de l'Année littéraire paraît le 3 février. A travers cette œuvre, Elie Fréron examine, condamne ou préconise les idées et les projets du siècle des Lumières. Il y combat surtout les philosophes de son temps réunis principalement autour de Diderot et son Encyclopédie.

Fréron devient le chantre des traditions littéraires et religieuses du Grand Siècle. Le succès est immédiat et l'Année littéraire devient au fil des ans une revue puissante et redoutée.

Fréron et Voltaire, ennemis définitifs Voir l'image en grand Fréron et Voltaire, ennemis définitifs Ainsi en 1760, une grande bataille éclate entre Fréron et Voltaire à la suite d'une comédie de Palissot appelée les Philosophes qui ridiculise la doctrine de l'Encyclopédie. C'est à cette époque que Voltaire compose Le pauvre diable, long pamphlet où Fréron y est qualifié de « vermisseau né du cul de Desfontaines ».

C'est aussi l'année où est jouée la comédie l'Ecossaise écrite par Voltaire sous le pseudonyme de M. Hume. Fréron y est représenté sous les traits du personnage Wasp (frelon ou guêpe en anglais). La pièce, traduite en plusieurs langues, va connaître un succès inattendu en Europe. Mais la haine qu'entretienne les deux hommes est vivace. Elle va perdurer encore longtemps sous la forme de petites phrases assassines et de vers destructeurs. En 1763, Voltaire écrira l'épigramme « L'autre jour au fond d'un vallon... ».

Fréron va diriger L'Année littéraire jusqu'à la fin de sa vie. Son journal lui a apporté renommée et fortune.

Au cours des années 1770, il publie son Histoire de l'Empire d'Allemagne (1771) en 8 volumes. L'Année littéraire va connaître des difficultés financières et des suspensions répétées.

Plaque apposée sur la maison natale d'Elie FréronVoir l'image en grand Plaque apposée sur la maison natale d'Elie FréronFréron est malade et décède peu de temps après la suppression de ses lettres, le 10 mars 1776 à Montrouge (actuel département des Hauts-de-Seine). En 1776, c'est la seconde épouse d'Elie Fréron, Anne-Françoise Royou qui devient directrice de publication de l'année littéraire jusqu'en 1790 où le journal disparaît.

A sa mort, l'un de ses mémorialistes lui dédia cette épitaphe.

« Du mauvais goût, censeur impitoyable
De l'orgueil littéraire, il dédaigna les cris,
Sa plume, aux écrivains le rendit redoutable
Et son cœur cher à ses amis. »


© Archives municipales de Quimper