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L'arrivée du chemin de fer à Quimper

Le train est arrivé à Quimper et c'est incontestablement une des grandes nouveautés du XIXè siècle.

L'avenue de la gare au XIXème siècle Voir l'image en grand L'avenue de la gare au XIXème siècle Cela donne lieu le 7 septembre 1863 à une inauguration officielle et solennelle au milieu d'une foule considérable. C'est l'après-midi que la toute première locomotive entre dans la nouvelle gare, accueillie par les personnalités locales : Monseigneur Sergent, évêque de Cornouaille, qui bénit la machine, le baron Richard préfet du Finistère, le maire Edouard Porquier et les ingénieurs de la Compagnie d'Orléans. Suit un banquet sous les halles.

C'est un jour mémorable et particulièrement prometteur pour l'avenir car il marque la fin de "l'isolement". Il fallait encore 24h en 1844 pour joindre en diligence Quimper à Nantes. Il marque l'ouverture délibérée au progrès, même si certains esprits chagrins craignent alors pour les «mœurs et usages, langue et coutume de la vieille Bretagne». En 1869, 43 680 voyageurs fréquentent la gare de Quimper qui expédie de nombreux produits de l'agriculture locale : chevaux, bovins, porcs, mais aussi pommes de terre et des produis manufacturés comme la céramique et la faïence à destination de l'étranger.
La gare de Quimper Voir l'image en grand La gare de Quimper
Le chemin de fer arrive en Bretagne en 1852 à Nantes puis atteint Rennes en 1857. Une partie de la population et particulièrement la plus aisée se félicitent de voir enfin « la civilisation parisienne » parvenir jusqu'en Armorique, souvent jugée comme un foyer de conservatisme.

Une arrivée du train longtemps espérée

Dès l'année 1854, le Conseil municipal de Quimper se préoccupe de l'arrivée du Chemin de Fer dans la ville, et examine toutes les possibilités qui se présentent pour la construction de la ligne bretonne afin de pouvoir recevoir le plus tôt possible ce nouveau moyen de communication et de transport.

Le 1er projet prévoyait une voie centrale traversant la Bretagne jusqu'à Pontivy - alors Napoléonville - dont partiraient plusieurs embranchements reliant les villes de Morlaix, Brest et Lorient.

Cette solution ne satisfaisait pas du tout le Conseil municipal de Quimper qui se voyait obligé d'attendre encore plusieurs années son rattachement au réseau du Chemin de Fer. Les édiles quimpérois proposèrent un autre projet à la Compagnie Orléanaise ; une voie passant par Nantes, Lorient et Quimper, ville qui devait être desservie le plus tôt possible car elle permettait de centraliser les marchés des ports importants, tels que Concarneau, Pont-L'abbé, Douarnenez et Audierne.
Avis du maire de Quimper sur les annexions de terrains 1862Voir l'image en grand Avis du maire de Quimper sur les annexions de terrains 1862
Le Conseil municipal, quelque peu effrayé des éventuelles conséquences sur la santé et la tranquillité de ses administrés et à l'étroit sur ses 192 hectares dut exiler la gare dans un endroit alors écarté, à l'instar de nombreuses municipalités de France. On édifia donc le nouveau bâtiment en briques et tuffeau sur le territoire des communes voisines d'Ergué-Armel et de Kerfeunteun (à Kervir-Izella) où l'on peut toutefois se rendre assez facilement en fiacre pour prendre le train.

Mais les employés de l'octroi de Quimper ne pouvaient pas y exercer leur surveillance, d'où des risques de fraudes importants signalés par les contemporains (la gare étant le débouché du commerce quimpérois, par elle, transitaient de nombreuses marchandises qui étaient sujettes à la taxe de l'octroi). De même, les nécessités de la surveillance policière (on craignait une croissance des délits) rendaient tout à fait indispensable l'annexion de ces terrains à la ville.

L'annexion de ces terrains par Quimper fut entérinée par un décret du 17 avril 1864. Si Ergué-Armel accepta de céder purement et simplement les superficies nécessaires, Kerfeunteun réclama des compensations et obtint trois hectares de terres labourables situés entre le cimetière Saint Joseph et l'église de Kerfeunteun.

Extension des limites sur la commune d'Ergué-Armel en 1862Voir l'image en grand Extension des limites sur la commune d'Ergué-Armel en 1862La construction de la gare et l'aménagement des quais permettant d'y accéder vont déplacer la route de Nantes, route nationale 165, les auberges de la rue Neuve fermeront au profit des hôtels et des restaurants qui s'implanteront dans le nouveau quartier de la gare.

A la séance extraordinaire du 22 mai 1862 du Conseil municipal , le nouveau maire Porquier Aîné, annonça : «Un évènement considérable est à la veille de s'accomplir dans notre pays : l'arrivée du chemin de fer à Quimper. Notre administration municipale, avec cette intelligence prévoyante dont elle nous a donné tant de preuves, s'est occupée des modifications profondes qu'il doit causer dans la situation commerciale et industrielle de notre ville».

Le bâtiment de la gare et les infrastructures ferroviaires

La construction de la gare et la mise en place du réseau des voies ferrées représentent un immense chantier de plusieurs années pour la ville.

Il nécessite la collaboration de nombreux entrepreneurs en terrassement : Ballay, Beauregard, Souchet comptant parmi les plus importants ayant employé une main d'œuvre abondante. Si la main d'œuvre ordinaire se recrute majoritairement sur place, les ouvriers qualifiés paraissent, eux, pour la plupart, étrangers à la région. Ainsi, en novembre 1861, Ballay emploie 10 journaliers tous originaires de la région de Quimper : Briec, Leuhan, Pluguffan, Plonéour...

Façade la gare avant l'extension du hall en 1928Voir l'image en grand Façade la gare avant l'extension du hall en 1928Mais il ne faut pas omettre que ce chantier causa de nombreux accidents comme celui du tunnel du Likès où 8 ouvriers furent ensevelis. Il a fallu 33 heures pour pouvoir dégager 5 d'entre eux. On décore les hommes qui se sont distingués au cours de cette opération : 4 chefs mineurs : Pitavic, Devidac, Agasse, Vornerie et l'ouvrier mineur Huet.

Au cours des travaux qui se sont poursuivis en 1863 en direction de Châteaulin, d'autres accidents mortels ont été signalés dus aux éboulements de talus surplombant la voie, à Kervran en Landrévarzec - Pierre Rannou, victime- à Châteaulin - l'ouvrier Kerauret.

C'est en juin 1884, que le Conseil municipal s'inquiète de l'exiguïté de la salle destinée au service des billets et des bagages, qui cause au public une grande gène. Celle-ci s'est accentuée depuis la mise en service des lignes de Douarnenez, de Pont-l'Abbé et de Concarneau. Deux espaces vides situés entre le bâtiment actuel et ses annexes seraient idéal pour y placer un buffet-buvette et une salle pour le service des bagages à l'arrivée. Mais ce projet tarde à être réalisé. Le 3 juillet 1885, le préfet du Finistère prévient le conseil municipal que son projet est enfin accepté.

C'est en 1927, que les transformations se font en plus grand nombre : électrification du bâtiment et des voies, agrandissement du vestibule du bâtiment. L'emplacement réservé à l'enregistrement des bagages est doublé, avec, désormais, deux services simultanés et deux bascules. Façade de la gare où figure l'extension du hall (1928)Voir l'image en grand Façade de la gare où figure l'extension du hall (1928)

C'est la fin des bousculades et des longues attentes à la consigne au départ au grand bénéfice des voyageurs. Le vestibule d'entrée, trop exigu en cas de pluie est bien agrandi ; une consigne spéciale au départ sera installée. Ce plan parait donc devoir répondre aux besoins des jours d'influence. Mais pour financer ces travaux sera établie une surtaxe locale temporaire par application de la loi du 26 octobre 1897 et le décret du 28 décembre 1926. Cette surtaxe est de 0,15 centimes sur le prix d'un billet aller, 0,25 pour un aller retour et de 0,35 par animaux.

Des réactions et des conséquences contrastées

En 1863, il est vrai que l'arrivée du Chemin de fer à Quimper bouleverse la ville dans plusieurs domaines dont les plus importants sont : l'économie, le développement de l'urbanisation, la valorisation de certains quartiers au dépend du dépérissement d'anciens quartiers très actifs.

Les hôtels quimpérois se mettent à l'heure du train Voir l'image en grand Les hôtels quimpérois se mettent à l'heure du train La ville toute entière devait également retirer des bénéfices du chemin de fer, et notamment sur le plan commercial et industriel. Le train allait entraîner d'importants déplacements d'intérêts et de valeurs en permettant des communications plus nombreuses, plus rapides et à plus grandes échelles (au niveau régional et national notamment).

De ce fait, l'industrie, l'agriculture et le commerce quimpérois s'ouvraient à des marchés potentiels plus importants, et ils pouvaient donc espérer une croissance de leur productivité. Et cela d'autant plus que la richesse du sud Finistère ne cessait de croître dans le domaine agricole, commercial et maritime, et qu'une grande partie de ces productions arrivait sur les foires quimpéroises.

Mais en dépit des avantages indéniables du train pour Quimper, quelques personnes s'effrayaient de cette nouveauté qui allait bouleverser totalement « l'ordre établi ».

Ainsi, le 12 septembre 1863, le journal L'Impartial du Finistère, déclarait : «Qu'apporte-t-il à sa suite ce char de feu ? Aux formes étranges, aux allures fantastiques ? Est-ce ruine ou sécheresse ? Bonheur ou malheur ? Lumière ou fumée ?». Le jour de l'inauguration en effet, de jeunes gens publièrent un faire part de deuil sur lequel on pouvait lire une convocation : «Vous êtes priés d'assister au convoi funèbre des mœurs, coutumes, langages et traditions de la vieille Bretagne Armorique... La cérémonie aura lieu demain 7 septembre 1863 à la gare vers 3 heures de l'après midi».

On présenta également la locomotive comme «la Karrigel an ankou» (nom donné anciennement en Bretagne au char de la mort). Mais à ce jeu, c'est le modernisme qui sortit vainqueur du conservatisme et de la superstition. En fait, l'impression générale était surtout un sentiment d'hésitation, bien naturel d'ailleurs, devant l'inconnu, «cette étrangère qui se présente en ami ».

Monseigneur Marc, archevêque de Rennes ne craignait pas de jeter l'anathème. Ainsi le «vade retro satanas» qu'il lança sur la première locomotive fut repris en écho par les lamentations du poète Brizeux en 1857 dans son «Elégie de la Bretagne» à propos du chemin de fer : «C'est le grand ennemi. Pour aplanir sa voie, Menhirs longtemps debout, Chênes, vous tomberez».

Avec l'arrivée de la locomotive s'ouvre l'ère des premiers voyages d'agréments et il ne se passe plus une semaine sans que l'on ne découvre dans les pages des journaux locaux, des pages de publicité pour des excursions aux plages bretonnes aux stations balnéaires des Pyrénées et du golfe de Gascogne, Arcachon ou Biarritz, aux Salées de Béarn. Des réductions de 25% sont offertes en 1864, entre janvier et avril et l'ont peut choisir selon sa bourse, entre quatre itinéraires :

- le premier, en première classe à 225,00 francs et en deuxième classe à 170,00 francs
- les quatre autres, en première à 180,00 francs et en deuxième à 135,00 francs

Les familles de trois personnes bénéficient d'une réduction de 25%, les familles de quatre personnes, 30%, de cinq personnes de 35% et les familles de plus de six personnes, d'une réduction de 40%.
Affiche des chemins de fer d'Orléans Voir l'image en grand Affiche des chemins de fer d'Orléans Ces prix ne sont pas, évidemment, abordables pour tous et, le train n'est, pour les plus défavorisés, qu'un instrument d'exil, l'hémorragie du Finistère qui commence.

Mais cependant l'accès au train reste réservé à une certaine élite, ce n'est pas avec un salaire médiocre que l'ouvrier pourra offrir à sa famille un billet de train. Car qu'il soit hebdomadaire ou journalier, rapporté au temps de travail ou à la production ; le salaire, en moyenne, demeure médiocre et très insuffisant pour une famille.

L'enquête de 1848 sur le travail industriel dans l'arrondissement de Quimper estime les dépenses minimales d'un ouvrier seul à 300 frs par an en moyenne. Elle établit le salaire moyen d'un ouvrier à 1,50 fr. soit 450 francs par an, ce qui est censé couvrir largement tous ses besoins.
Mais il en va différemment pour une famille ouvrière, il faut environ 600 frs pour subvenir à tous leurs besoins aussi la femme et les enfants en âge doivent travailler pour apporter un complément de revenus. La femme gagne en moyenne 0,75 frs par jour et l'enfant 0,40.

Le train reste donc hors de portée de la plupart, si ce n'est pour monter à la capitale pour y chercher un travail et souvent y rester.

Une inauguration grandiose

L'inauguration du chemin de fer est un évènement grandiose. Les fêtes programmées reviennent à quatre mille deux cent soixante douze francs à la ville. Le 29 août 1863, l'Impartial du Finistère donne le programme prévu :

Et, en annexe au programme, le 8 septembre à vingt heures, il est prévu un grand concert à la halle, au bénéfice des pauvres, par le 74ème de Ligne et la Société Chorale.

Affiche de l'inauguration de l'arrivée du chemin de ferVoir l'image en grand Affiche de l'inauguration de l'arrivée du chemin de ferJamais il n'y eut, semble-t-il, autant de monde à Quimper : des Quimpérois mais aussi des étrangers venus de la Bretagne entière. A 14 heures, le préfet, accompagné des autorités civiles et militaires, du Finistère, arrive sur les lieux de la cérémonie. Tous les bâtiments de la gare ont été pavoisés aux couleurs françaises, des mâts ont été élevés en grand nombre avec, à leur sommet, de longues banderoles colorées. D'immenses tentes bordent la voie principale pour recevoir les nombreux invités. Un petit pavillon construit pour la circonstance, abrite les musiciens du 74è de Ligne et la Société Chorale.

L'Impartial du Finistère le 12 septembre 1863 s'en donne à cœur joie :
«A quinze heures, un sifflement sec et aigu perce les airs. A ce signal, le silence se fait. Tous les regards convergent vers le même point et l'on voit s'avancer majestueusement, avec une lenteur calculée, une puissante locomotive. Elle s'arrête en esclave soumise devant le représentant de celui qui est l'éternel, l'infini ; un chant grave et lent se fait entendre, c'est le clergé qui appelle à la bénédiction du ciel sur l'œuvre merveilleuse de l'homme, Mgr sergent, évêque de Quimper, s'avance et, après avoir fait tomber l'onde sainte sur la locomotive, qui se retire encore toute frémissante, entame un discours».

Le discours de Mgr Sergent est suivi de ceux du préfet et du maire Porquier. Tous chantent les louanges du «souverain qui a su tirer la Bretagne de l'état de paralysie dans lequel on l'avait laissée». L'évêque évoque la catastrophe du 26 mai 1862 dans le tunnel sous le likès et tous se retirent ensuite pour un somptueux banquet servi aux frais de la ville aux halles. A 20 heures, un feu d'artifice est tiré au champ de bataille.

L'hôtel de la préfecture, la mairie, sont illuminés. Des dizaines de bateaux ont pavoisé et sont éclairés par des lanternes vénitiennes. Certains accueillent les musiciens du 74è de Ligne et de la Société Chorale. Le tout se termine, bien sur, par une retraite aux flambeaux. Le lendemain, la musique militaire clôture les festivités par un concert de plus de trois heures au bénéfice des pauvres, dans la salle du musée. Invitation pour le banquet d'inauguration de la gareVoir l'image en grand Invitation pour le banquet d'inauguration de la gare

L'arrivée du chemin de fer à Quimper a des incidences sur les villes aux activités économiques croissantes. En effet, Douarnenez, Pont-l'Abbé, Audierne et Le Guilvinec ne tardent pas à demander la concession de lignes de Chemin de fer.

Dès 1878, la question se pose pour la ligne Quimper-Douarnenez mais l'inauguration de cette ligne se fera la même année que celle de Quimper-pont l'Abbé en 1884. Pour la ligne reliant Quimper avec Le Guilvinec cela se fera plus tôt, dès 1878. En 1893, Audierne et Douarnenez désirent une ligne rejoignant les deux villes et le 28 janvier 1894 l'inauguration se fait.


© Archives municipales de Quimper